A Season in Hell & Illuminations
NOCTURNE VULGAIRE
Un souffle ouvre des brèches opéradiques dans les cloisons,—brouille le pivotement des toits rongés,—disperse les limites de foyers,—éclipse les croisées.—Le long de la vigne, m’étant appuyé du pied à une gargouille,—je suis descendu dans ce carrosse dont l’époque est assez indiquée par les glaces convexes, les panneaux bombés et les sophas contournés—Corbillard de mon sommeil, isolé, maison de berger de ma niaiserie, le véhicule vire sur le gazon de la grande route effacée: et dans un défaut en haut de la glace de droite tournoient les blêmes figures lunaires, feuilles, seins;—Un vert et un bleu très foncés envahissent l’image. Dételage aux environs d’une tache de gravier.
—Ici va-t-on siffler pour l’orage, et les Sodomes,—et les Solymes,—et les bêtes féroces et les armées,
(—Postillon et bêtes de Songe reprendront-ils sous les plus suffocantes futaies, pour m’enfoncer jusqu’aux yeux dans la source de soie.)
—Et nous envoyer, fouettés à travers les eaux clapotantes et les boissons répandues, rouler sur l’aboi des dogues …
—Un souffle disperse les limites du foyer.
MARINE
Les chars d’argent et de cuivre—
Les proues d’acier et d’argent—
Battent l’écume,—
Soulèvent les souches des ronces—
Les courants de la lande,
Et les ornières immenses du reflux
Filent circulairement vers l’est,
Vers les piliers de la forêt,—
Vers les fûts de la jetée,
Dont l’angle est heurté
par des tourbillons de lumière
FÊTE D’HIVER
La cascade sonne derrière les huttes d’opéra-comique. Des girandoles prolongent, dans les vergers et les allées voisins du Méandre,—les verts et les rouges du couchant. Nymphes d’Horace coiffées au Premier Empire,—Rondes Sibériennes, Chinoises de Boucher.
ANGOISSE
Se peut-il qu’Elle me fasse pardonner les ambitions continuellement écrasées,—qu’une fin aisée répare les âges d’indigence,—qu’un jour de succès nous endorme sur la honte de notre inhabileté fatale,
(Ô palmes! diamant!—Amour, force!—plus haut que toutes joies et gloires!—de toutes façons, partout,—démon, dieu,—Jeunesse de cet être-ci; moi!)
Que des accidents de féerie scientifique et des mouvements de fraternité sociale soient chéris comme restitution progressive de la franchise première? …
Mais la Vampire qui nous rend gentils commande que nous nous amusions avec ce qu’elle nous laisse, ou qu’autrement nous soyons plus drôles.
Rouler aux blessures, par l’air lassant et la mer; aux supplices, par le silence des eaux et de l’air meurtriers; aux tortures qui rient, dans leur silence atrocement houleux.
MÉTROPOLITAIN
Du détroit d’indigo aux mers d’Ossian, sur le sable rose et orange qu’a lavé le ciel vineux viennent de monter et de se croiser des boulevards de cristal habités incontinent par des jeunes familles pauvres qui s’alimentent chez les fruitiers. Rien de riche.—La ville!
Du désert de bitume fuient droit en déroute avec les nappes de brumes échelonnées en bandes affreuses au ciel qui se recourbe, se recule et descend, formé de la plus sinistre fumée noire que puisse faire l’Océan en deuil, les casques, les roues, les barques, les croupes.—La bataille!
Lève la tête: ce pont de bois, arqué; les derniers potagers de Samarie; ces masques enluminés sous la lanterne fouettée par la nuit froide; l’ondine niaise à la robe bruyante, au bas de la rivière; les crânes lumineux dans les plants de pois,—et les autres fantasmagories—la campagne.
Des routes bordées de grilles et de murs, contenant à peine leurs bosquets, et les atroces fleurs qu’on appellerait cœurs et sœurs, Damas damnant de longueur,—possessions de féeriques aristocraties ultra-Rhénanes, Japonaises, Guaranies, propres encore à recevoir la musique des anciens—et il y a des auberges qui pour toujours n’ouvrent déjà plus—il y a des princesses, et si tu n’es pas trop accablé, l’étude des astres—le ciel.
Le matin où avec Elle vous vous débattîtes parmi les éclats de neige, les lèvres vertes, les glaces, les drapeaux noirs et les rayons bleus, et les parfums pourpres du soleil des pôles,—ta force.
BARBARE
Bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays,
Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques; (elles n’existent pas.)
Remis des vieilles fanfares d’héroïsme—qui nous attaquent encore le cœur et la tête—loin des anciens assassins—
Oh! le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques; (elles n’existent pas)
Douceurs!
Les brasiers, pleuvant aux rafales de givre,—Douceurs!—les feux à la pluie du vent de diamants—jetée par le cœur terrestre éternellement carbonisé pour nous.—Ô monde!—
(Loin des vieilles retraites et des vieilles flammes, qu’on entend, qu’on sent,)
Les brasiers et les écumes. La musique, virement des gouffres et choc des glaçons aux astres.
Ô Douceurs, ô monde, ô musique! Et là, les formes, les sueurs, les chevelures et les yeux, flottant. Et les larmes blanches, bouillantes,—ô douceurs!—et la voix féminine arrivée au fond des volcans et des grottes arctiques.
Le pavillon …
FAIRY
Pour Hélène se conjurèrent les sèves ornamentales dans les ombres vierges et les clartés impassibles dans le silence astral. L’ardeur de l’été fut confiée à des oiseaux muets et l’indolence requise à une barque de deuils sans prix par des anses d’amours morts et de parfums affaissés.
—Après le moment de l’air des bûcheronnes à la rumeur du torrent sous la ruine des bois, de la sonnerie des bestiaux à l’écho des vals, et des cris des steppes.—
Pour l’enfance d’Hélène frissonnèrent les fourrures et les ombres,—et le sein des pauvres, et les légendes du ciel.
Et ses yeux et sa danse supérieurs encore aux éclats précieux, aux influences froides, au plaisir du décor et de l’heure uniques.
GUERRE
Enfant, certains ciels ont affiné mon optique: tous les caractères nuancèrent ma physionomie. Les Phénomènes s’émurent.—À présent, l’inflexion éternelle des moments et l’infini des mathématiques me chassent par ce monde où je subis tous les succès civils, respecté de l’enfance étrange et des affections énormes.—Je songe à une Guerre, de droit ou de force, de logique bien imprévue.
C’est aussi simple qu’une phrase musicale.
SOLDE
À vendre ce que les Juifs n’ont pas vendu, ce que noblesse ni crime n’ont goûté, ce qu’ignore l’amour maudit et la probité infernale des masses: ce que le temps ni la science n’ont pas à reconnaître;
Les Voix reconstituées; l’éveil fraternel de toutes les énergies chorales et orchestrales et leurs applications instantanées; l’occasion, unique, de dégager nos sens!
À vendre les Corps sans prix, hors de toute race, de tout monde, de tout sexe, de toute descendance! Les richesses jaillissant à chaque démarche! Solde de diamants sans contrôle!
À vendre l’anarchie pour les masses; la satisfaction irrépressible pour les amateurs supérieurs; la mort atroce pour les fidèles et les amants!
À vendre les habitations et les migrations, sports, féeries et comforts parfaits, et le bruit, le mouvement et l’avenir qu’ils font!
À vendre les applications de calcul et les sauts d’harmonie inouïs. Les trouvailles et les termes non soupçonnés, possession immédiate.
Élan insensé et infini aux splendeurs invisibles, aux délices insensibles,—et ses secrets affolants pour chaque vice—et sa gaîté effrayante pour la foule—
À vendre les Corps, les voix, l’immense opulence inquestionable, ce qu’on ne vendra jamais. Les vendeurs ne sont pas à bout de solde! Les voyageurs n’ont pas à rendre leur commission
de si tôt!
JEUNESSE
I
Dimanche
Les calculs de côté, l’inévitable descente du ciel, et la visite des souvenirs et la séance des rhythmes occupent la demeure, la tête et le monde de l’esprit.
—Un cheval détale sur le turf suburbain et le long des cultures et des boisements percé par la peste carbonique. Une misérable femme de drame, quelque part dans le monde, soupire après des abandons improbables. Les desperadoes languissent après l’orage, l’ivresse et les blessures. De petits enfants étouffent des malédictions le long des rivières.—
Reprenons l’étude au bruit de l’œuvre dévorante qui se rassemble et remonte dans les masses.
II
Sonnet
Homme de constitution ordinaire, la chair
n’était-elle pas un fruit pendu dans le verger,—ô
journées enfantes! le corps un trésor à prodiguer;—ô
aimer, le péril ou la force de Psyché? La terre
avait des versants fertiles en princes et en artistes,
et la descendance et la race vous poussaient aux
crimes et aux deuils: le monde votre fortune et votre
péril. Mais à présent, ce labeur comblé, toi, tes calculs,
—toi, tes impatiences—ne sont plus que votre danse et
votre voix, non fixées et point forcées, quoique d’un double
événement d’invention et de succès une saison,
—en l’humanité fraternelle et discrète par l’univers
sans images;—la force et le droit réfléchissent la danse
et la voix à présent seulement appréciées.
III
Vingt ans
Les voix instructives exilées … L’ingénuité physique amèrement rassise … —Adagio—Ah! l’égoïsme infini de l’adolescence, l’optimisme studieux: que le monde était plein de fleurs cet été! Les airs et les formes mourant … Un chœur, pour calmer l’impuissance et l’absence! Un chœur de verres de mélodies nocturnes … En effet les nerfs vont vite chasser.
IV
Tu en es encore à la tentation d’Antoine. L’ébat du zèle écourté, les tics d’orgueil puéril, l’affaissement et l’effroi.
Mais tu te mettras à ce travail: toutes les possibilités harmoniques et architecturales s’émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s’offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d’anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu? En tout cas, rien des apparences actuelles.
PROMONTOIRE
L’aube d’or et la soirée frissonnante trouvent notre brick en large en face de cette Villa et de ses dépendances, qui forment un promontoire aussi étendu que l’Épire et le Péloponnèse, ou que la grande île du Japon, ou que l’Arabie! Des fanums qu’éclaire la rentrée des théories, d’immenses vues de la défense des côtes modernes; des dunes illustrées de chaudes fleurs et de bacchanales; de grands canaux de Carthage et des Embankments d’une Venise louche, de molles éruptions d’Etnas et des crevasses de fleurs et d’eaux des glaciers, des lavoirs entourés de peupliers d’Allemagne; des talus de parcs singuliers penchant des têtes d’Arbre du Japon, et les façades circulaires des «Royal» ou des «Grand» de Scarbro’ ou de Brooklyn; et leurs railways flanquent, creusent, surplombent les dispositions dans cet Hôtel, choisies dans l’histoire des plus élégantes et des plus colossales constructions de l’Italie, de l’Amérique et de l’Asie, dont les fenêtres et les terrasses à présent pleines d’éclairages, de boissons et de brises riches, sont ouvertes à l’esprit des voyageurs et des nobles—qui permettent, aux heures du jour, à toutes les tarentelles des côtes,—et même aux ritournelles des vallées illustres de l’art, de décorer merveilleusement les façades du Palais-Promontoire.
DÉVOTION
À ma sœur Louise Vanaen de Voringhem:—Sa cornette bleue tournée à la mer du Nord.—Pour les naufragés.
À ma sœur Léonie Aubois d’Ashby. Baou—l’herbe d’été bourdonnante et puante.—Pour la fièvre des mères et des enfants.
À Lulu,—démon—qui a conservé un goût pour les oratoires du temps des Amies et de son éducation incomplète. Pour les hommes! À madame
À l’adolescent que je fus. À ce saint vieillard, ermitage ou mission.
À l’esprit des pauvres. Et à un très haut clergé.
Aussi bien à tout culte en telle place de culte mémoriale et parmi tels événements qu’il faille se rendre, suivant les aspirations du moment ou bien notre propre vice sérieux.
Ce soir, à Circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson, et enluminée comme les dix mois de la nuit rouge—(son cœur ambre et spunk),—pour ma seule prière muette comme ces régions de nuit et précédant des bravoures plus violentes que ce chaos polaire.
À tout prix et avec tous les airs, même dans des voyages métaphysiques.—Mais plus alors.
DÉMOCRATIE
«Le drapeau va au paysage immonde, et notre patois étouffe le tambour.
«Aux centres nous alimenterons la plus cynique prostitution. Nous massacrerons les révoltes logiques.
«Aux pays poivrés et détrempés!—au service des plus monstrueuses exploitations industrielles ou militaires.
«Au revoir ici, n’importe où, Conscrits du bon vouloir, nous aurons la philosophie féroce; ignorants pour la science, roués pour le confort; la crevaison pour le monde qui va. C’est la vraie marche. En avant, route!»
SCÈNES
L’ancienne Comédie poursuit ses accords et divise ses Idylles:
Des boulevards de tréteaux.
Un long pier en bois d’un bout à l’autre d’un champ rocailleux où la foule barbare évolue sous les arbres dépouillés.
Dans des corridors de gaze noire suivant le pas des promeneurs aux lanternes et aux feuilles.
Des oiseaux des mystères s’abattent sur un ponton de maçonnerie mû par l’archipel couvert des embarcations des spectateurs.
Des scènes lyriques accompagnées de flûte et de tambour s’inclinent dans des réduits ménagés sous les plafonds, autour des salons de clubs modernes ou des salles de l’Orient ancien.
La féerie manœuvre au sommet d’un amphithéâtre couronné par les taillis—Ou s’agite et module pour les Béotiens, dans l’ombre des futaies mouvantes sur l’arête des cultures.
L’opéra-comique se divise sur une scène à l’arête d’intersection de dix cloisons dressées de la galerie aux feux.
SOIR HISTORIQUE
En quelque soir, par exemple, que se trouve le touriste naïf, retiré de nos horreurs économiques, la main d’un maître anime le clavecin des prés; on joue aux cartes au fond de l’étang, miroir évocateur des reines et des mignonnes; on a les saintes, les voiles, et les fils d’harmonie, et les chromatismes légendaires, sur le couchant.
Il frissonne au passage des chasses et des hordes. La comédie goutte sur les tréteaux de gazon. Et l’embarras des pauvres et des faibles sur ces plans stupides!
À sa vision esclave, l’Allemagne s’échafaude vers des lunes; les déserts tartares s’éclairent; les révoltes anciennes grouillent dans le centre du Céleste Empire; par les escaliers et les fauteuils de rois—un petit monde blême et plat, Afrique et Occidents, va s’édifier. Puis un ballet de mers et de nuits connues, une chimie sans valeur, et des mélodies impossibles.
La même magie bourgeoise à tous les points où la malle nous déposera! Le plus élémentaire physicien sent qu’il n’est plus possible de se soumettre à cette atmosphère personnelle, brume de remords physiques, dont la constatation est déjà une affliction.
Non! Le moment de l’étuve, des mers enlevées, des embrasements souterrains, de la planète emportée, et des exterminations conséquentes, certitudes si peu malignement indiquées dans la Bible et par les Nornes et qu’il sera donné à l’être sérieux de surveiller.—Cependant ce ne s
era point un effet de légende!
BOTTOM
La réalité étant trop épineuse pour mon grand caractère,—je me trouvai néanmoins chez Madame, en gros oiseau gris bleu s’essorant vers les moulures du plafond et traînant l’aile dans les ombres de la soirée.
Je fus, au pied du baldaquin supportant ses bijoux adorés et ses chefs-d’œuvre physiques, un gros ours aux gencives violettes et au poil chenu de chagrin, les yeux aux cristaux et aux argents des consoles.
Tout se fit ombre et aquarium ardent. Au matin,—aube de juin batailleuse,—je courus aux champs, âne, claironnant et brandissant mon grief, jusqu’à ce que les Sabines de la banlieue vinrent se jeter à mon poitrail.
H
Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d’Hortense. Sa solitude est la mécanique érotique, sa lassitude, la dynamique amoureuse. Sous la surveillance d’une enfance, elle a été, à des époques nombreuses, l’ardente hygiène des races. Sa porte est ouverte à la misère. Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion, ou en son action.—Ô terrible frisson des amours novices sur le sol sanglant et par l’hydrogène clarteux! trouvez Hortense.
MOUVEMENT
Le mouvement de lacet sur la berge des chutes du fleuve,
Le gouffre à l’étambot,
La célérité de la rampe,
L’énorme passade du courant
Mènent par les lumières inouïes
Et la nouveauté chimique