Ah! encore: je danse le sabbat dans une rouge clairière, avec des vieilles et des enfants.
Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme. Je n’en finirais pas de me revoir dans ce passé. Mais toujours seul; sans famille; même, quelle langue parlais-je? Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ; ni dans les conseils des Seigneurs,—représentants du Christ.
Qu’étais-je au siècle dernier: je ne me retrouve qu’aujourd’hui. Plus de vagabonds, plus de guerres vagues. La race inférieure a tout couvert—le peuple, comme on dit, la raison; la nation et la science.
Oh! la science! On a tout repris. Pour le corps et pour l’âme,—le viatique,—on a la médecine et la philosophie,—les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangées. Et les divertissements des princes et les jeux qu’ils interdisaient! Géographie, cosmographie, mécanique, chimie! …
La science, la nouvelle noblesse! Le progrès. Le monde marche! Pourquoi ne tournerait-il pas?
C’est la vision des nombres. Nous allons à l’Esprit. C’est très-certain, c’est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m’expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.
Le sang païen revient! L’Esprit est proche, pourquoi Christ ne m’aide-t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté. Hélas! l’Évangile a passé! l’Évangile! l’Évangile.
J’attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité.
Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s’allument dans le soir. Ma journée est faite; je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l’herbe, chasser, fumer surtout; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant,—comme faisaient ces chers ancêtres autour des feux.
Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l’œil furieux: sur mon masque, on me jugera d’une race forte. J’aurai de l’or: je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.
Maintenant je suis maudit, j’ai horreur de la patrie. Le meilleur, c’est un sommeil bien ivre, sur la grève.
On ne part pas.—Reprenons les chemins d’ici, chargé de mon vice, le vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l’âge de raison—qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traîne.
La dernière innocence et la dernière timidité. C’est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons.
Allons! La marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère.
À qui me louer? Quelle bête faut-il adorer? Quelle sainte image attaque-t-on? Quels cœurs briserai-je? Quel mensonge dois-je tenir?—Dans quel sang marcher?
Plutôt, se garder de la justice.—La vie dure, l’abrutissement simple,—soulever, le poing desséché, le couvercle du cercueil, s’asseoir, s’étouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers: la terreur n’est pas française.
—Ah! je suis tellement délaissé que j’offre à n’importe quelle divine image des élans vers la perfection.
Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse! ici-bas, pourtant!
De profundis Domine, suis-je bête!
Encore tout enfant, j’admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours le bagne; je visitais les auberges et les garnis qu’il aurait sacrés par son séjour; je voyais avec son idée le ciel bleu et le travail fleuri de la campagne; je flairais sa fatalité dans les villes. Il avait plus de force qu’un saint, plus de bon sens qu’un voyageur—et lui, lui seul! pour témoin de sa gloire et de sa raison.
Sur les routes, par des nuits d’hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé: «Faiblesse ou force: te voilà, c’est la force. Tu ne sais ni où tu vas ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre.» Au matin j’avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu.
Dans les villes la boue m’apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumée au ciel; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres.
Mais l’orgie et la camaraderie des femmes m’étaient interdites. Pas même un compagnon. Je me voyais devant une foule exaspérée, en face du peloton d’exécution, pleurant du malheur qu’ils n’aient pu comprendre, et pardonnant!—Comme Jeanne d’Arc!—«Prêtres, professeurs, maîtres, vous vous trompez en me livrant à la justice. Je n’ai jamais été de ce peuple-ci; je n’ai jamais été chrétien; je suis de la race qui chantait dans le supplice; je ne comprends pas les lois; je n’ai pas le sens moral, je suis une brute: vous vous trompez … »
Oui, j’ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre; magistrat, tu es nègre; général, tu es nègre; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre: tu as bu d’une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan.—Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu’ils demandent à être bouillis.—Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d’otages ces misérables. J’entre au vrai royaume des enfants de Cham.
Connais-je encore la nature? me connais-je?—Plus de mots. J’ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse! Je ne vois même pas l’heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.
Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse!
Les blancs débarquent. Le canon! Il faut se soumettre au baptême, s’habiller, travailler.
J’ai reçu au cœur le coup de la grâce. Ah! je ne l’avais pas prévu!
Je n’ai point fait le mal. Les jours vont m’être légers, le repentir me sera épargné. Je n’aurai pas eu les tourments de l’âme presque morte au bien, où remonte la lumière sévère comme les cierges funéraires. Le sort du fils de famille, cercueil prématuré couvert de limpides larmes. Sans doute la débauche est bête, le vice est bête; il faut jeter la pourriture à l’écart. Mais l’horloge ne sera pas arrivée à ne plus sonner que l’heure de la pure douleur! Vais-je être enlevé comme un enfant, pour jouer au paradis dans l’oubli de tout le malheur!
Vite! est-il d’autres vies?—Le sommeil dans la richesse est impossible. La richesse a toujours été bien public. L’amour divin seul octroie les clefs de la science. Je vois que la nature n’est qu’un spectacle de bonté. Adieu chimères, idéals, erreurs.
Le chant raisonnable des anges s’élève du navire sauveur: c’est l’amour divin.—Deux amours! je puis mourir de l’amour terrestre, mourir de dévouement. J’ai laissé des âmes dont la peine s’accroîtra de mon départ! Vous me choisissez parmi les naufragés; ceux qui restent sont-ils pas mes amis?
Sauvez-les!
La raison m’est née. Le monde est bon. Je bénirai la vie. J’aimerai mes frères. Ce ne sont plus des promesses d’enfance. Ni l’espoir d’échapper à la vieillesse et à la mort. Dieu fait ma force, et je loue Dieu.
L’ennui n’est plus mon amour. Les rages, les débauches, la folie, dont je sais tous les élans et les désastres,—tout mon fardeau est déposé. Apprécions sans vertige l’étendue de mon innocence.
Je ne serais plus capable de demander le réconfort d’une bastonnade. Je ne me crois pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour beau-père.
Je ne suis pas prisonnier de ma raison. J’ai dit: Dieu. Je veux la liberté dans le salut: comment la poursuivre? Les goûts frivoles m’ont quitté. Plus besoin de dévouement ni d’amour divin. Je ne regrette pas le siècle des cœurs sensibles. Chacun a sa raison, mépris et charité: je retiens ma place au sommet de cette angélique échelle de bon sens.
Quant au bonheur établi, domestique ou non … non, je ne p
eux pas. Je suis trop dissipé, trop faible. La vie fleurit par le travail, vieille vérité: moi, ma vie n’est pas assez pesante, elle s’envole et flotte loin au-dessus de l’action, ce cher point du monde.
Comme je deviens vieille fille, à manquer du courage d’aimer la mort!
Si Dieu m’accordait le calme céleste, aérien, la prière,—comme les anciens saints.—Les saints! des forts! les anachorètes, des artistes comme il n’en faut plus!
Farce continuelle! Mon innocence me ferait pleurer. La vie est la farce à mener par tous.
Assez! voici la punition.—En marche!
Ah! les poumons brûlent, les tempes grondent! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil! le cœur … les membres …
Où va-t-on? au combat? Je suis faible! les autres avancent. Les outils, les armes … le temps! …
Feu! feu sur moi! Là! ou je me rends.—Lâches!—Je me tue! Je me jette aux pieds des chevaux!
Ah! …
—Je m’y habituerai.
Ce serait la vie française, le sentier de l’honneur!
NUIT DE L’ENFER
J’ai avalé une fameuse gorgée de poison.—Trois fois béni soit le conseil qui m’est arrivé!—Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j’étouffe, je ne puis crier. C’est l’enfer, l’éternelle peine! Voyez comme le feu se relève! Je brûle comme il faut. Va, démon!
J’avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, le salut. Puis-je décrire la vision, l’air de l’enfer ne souffre pas les hymnes! C’était des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je?
Les nobles ambitions!
Et c’est encore la vie!—Si la damnation est éternelle! Un homme qui veut se mutiler est bien damné, n’est-ce pas? Je me crois en enfer, donc j’y suis. C’est l’exécution du catéchisme. Je suis esclave de mon baptême. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre. Pauvre innocent!—L’enfer ne peut attaquer les païens.—C’est la vie encore! Plus tard, les délices de la damnation seront plus profondes. Un crime, vite, que je tombe au néant, de par la loi humaine.
Tais-toi, mais tais-toi! … C’est la honte, le reproche, ici: Satan qui dit que le feu est ignoble, que ma colère est affreusement sotte.—Assez! … Des erreurs qu’on me souffle, magies, parfums faux, musiques puériles.—Et dire que je tiens la vérité, que je vois la justice: j’ai un jugement sain et arrêté, je suis prêt pour la perfection … Orgueil.—La peau de ma tête se dessèche. Pitié! Seigneur, j’ai peur. J’ai soif, si soif! Ah! l’enfance, l’herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze … le diable est au clocher, à cette heure. Marie! Sainte-Vierge! … —Horreur de ma bêtise.
Là-bas, ne sont-ce pas des âmes honnêtes, qui me veulent du bien … Venez … J’ai un oreiller sur la bouche, elles ne m’entendent pas, ce sont des fantômes. Puis, jamais personne ne pense à autrui. Qu’on n’approche pas. Je sens le roussi, c’est certain.
Les hallucinations sont innombrables. C’est bien ce que j’ai toujours eu: plus de foi en l’histoire, l’oubli des principes. Je m’en tairai: poètes et visionnaires seraient jaloux. Je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer.
Ah çà! l’horloge de la vie s’est arrêtée tout à l’heure. Je ne suis plus au monde.—La théologic est sérieuse, l’enfer est certainement en bas—et le ciel en haut.—Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes.
Que de malices dans l’attention dans la campagne … Satan, Ferdinand, court avec les graines sauvages … Jésus marche sur les ronces purpurines, sans les courber … Jésus marchait sur les eaux irritées. La lanterne nous le montra debout, blanc et des tresses brunes, au flanc d’une vague d’émeraude …
Je vais dévoiler tous les mystères: mystères religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passé, cosmogonie, néant. Je suis maître en fantasmagories.
Écoutez! …
J’ai tous les talents!—Il n’y a personne ici et il y a quelqu’un: je ne voudrais pas répandre mon trésor.—Veut-on des chants nègres, des danses de houris? Veut-on que je disparaisse, que je plonge à la recherche de l’anneau? Veut-on? Je ferai de l’or, des remèdes.
Fiez-vous donc à moi, la foi soulage, guide, guérit. Tous, venez,—même les petits enfants,—que je vous console, qu’on répande pour vous son cœur,—le cœur merveilleux!—Pauvres hommes, travailleurs! Je ne demande pas de prières; avec votre confiance seulement, je serai heureux.
—Et pensons à moi. Ceci me fait peu regretter le monde. J’ai de la chance de ne pas souffrir plus. Ma vie ne fut que folies douces, c’est regrettable.
Bah! faisons toutes les grimaces imaginables.
Décidément, nous sommes hors du monde. Plus aucun son. Mon tact a disparu. Ah! mon château, ma Saxe, mon bois de saules. Les soirs, les matins, les nuits, les jours … Suis-je las!
Je devrais avoir mon enfer pour la colère, mon enfer pour l’orgueil,—et l’enfer de la caresse; un concert d’enfers.
Je meurs de lassitude. C’est le tombeau, je m’en vais aux vers, horreur de l’horreur! Satan, farceur, tu veux me dissoudre, avec tes charmes. Je réclame. Je réclame! un coup de fourche, une goutte de feu.
Ah! remonter à la vie! Jeter les yeux sur nos difformités. Et ce poison, ce baiser mille fois maudit! Ma faiblesse, la cruauté du monde! Mon Dieu, pitié, cachez-moi, je me tiens trop mal!—Je suis caché et je ne le suis pas.
C’est le feu qui se relève avec son damné.
DÉLIRES
I
L’ÉPOUX INFERNAL
Vierge folle
Écoutons la confession d’un compagnon d’enfer:
«Ô divin Époux, mon Seigneur, ne refusez pas la confession de la plus triste de vos servantes. Je suis perdue. Je suis soûle. Je suis impure. Quelle vie!
«Pardon, divin Seigneur, pardon! Ah! pardon! Que de larmes! Et que de larmes encore plus tard, j’espère!
«Plus tard, je connaîtrai le divin Époux! Je suis née soumise à Lui.—L’autre peut me battre maintenant!
«À présent, je suis au fond du monde! Ô mes amies! … non, pas mes amies … Jamais délires ni tortures semblables … Est-ce bête!
«Ah! je souffre, je crie. Je souffre vraiment. Tout pourtant m’est permis, chargée du mépris des plus méprisables cœurs.
«Enfin, faisons cette confidence, quitte à la répéter vingt autres fois,—aussi morne, aussi insignifiante!
«Je suis esclave de l’Époux infernal, celui qui a perdu les vierges folles. C’est bien ce démon-là. Ce n’est pas un spectre, ce n’est pas un fantôme. Mais moi qui ai perdu la sagesse, qui suis damnée et morte au monde,—on ne me tuera pas!—Comment vous le décrire! Je ne sais même plus parler. Je suis en deuil, je pleure, j’ai peur. Un peu de fraîcheur, Seigneur, si vous voulez, si vous voulez bien!
«Je suis veuve … —J’étais veuve … —mais oui, j’ai été bien sérieuse jadis, et je ne suis pas née pour devenir squelette! … —Lui était presque un enfant … Ses délicatesses mystérieuses m’avaient séduite. J’ai oublié tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. Je vais où il va, il le faut. Et souvent il s’emporte contre moi, moi, la pauvre âme. Le Démon!—C’est un Démon, vous savez, ce n’est pas un homme.
«Il dit: “Je n’aime pas les femmes. L’amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée. La position gagnée, cœur et beauté sont mis de côté: il ne reste que froid dédain, l’aliment du mariage, aujourd’hui. Ou bien je vois des femmes, avec les signes du bonheur, dont, moi, j’aurais pu faire de bonnes camarades, dévorées tout d’abord par des brutes sensibles comme des bûchers …”
«Je l’écoute faisant de l’infamie une gloire, de la cruauté un charme. “Je suis de race lointaine: mes pères étaient Scandinaves: ils se perçaient les côtes, buvaient leur sang.—Je me fera
i des entailles partout le corps, je me tatouerai, je veux devenir hideux comme un Mongol: tu verras, je hurlerai dans les rues. Je veux devenir bien fou de rage. Ne me montre jamais de bijoux, je ramperais et me tordrais sur le tapis. Ma richesse, je la voudrais tachée de sang partout. Jamais je ne travaillerai …” Plusieurs nuits, son démon me saisissant, nous nous roulions, je luttais avec lui!—Les nuits, souvent, ivre, il se poste dans des rues ou dans des maisons, pour m’épouvanter mortellement.—“On me coupera vraiment le cou; ce sera dégoûtant.” Oh! ces jours où il veut marcher avec l’air du crime!
«Parfois il parle, en une façon de patois attendri, de la mort qui fait repentir, des malheureux qui existent certainement, des travaux pénibles, des départs qui déchirent les cœurs. Dans les bouges où nous nous enivrions, il pleurait en considérant ceux qui nous entouraient, bétail de la misère. Il relevait les ivrognes dans les rues noires. Il avait la pitié d’une mère méchante pour les petits enfants.—Il s’en allait avec des gentillesses de petite fille au catéchisme.—Il feignait d’être éclairé sur tout, commerce, art, médecine.—Je le suivais, il le faut!
«Je voyais tout le décor dont, en esprit, il s’entourait; vêtements, draps, meubles: je lui prêtais des armes, une autre figure. Je voyais tout ce qui le touchait, comme il aurait voulu le créer pour lui. Quand il me semblait avoir l’esprit inerte, je le suivais, moi, dans des actions étranges et compliquées, loin, bonnes ou mauvaises: j’étais sûre de ne jamais entrer dans son monde. À côté de son cher corps endormi, que d’heures des nuits j’ai veillé, cherchant pourquoi il voulait tant s’évader de la réalité. Jamais homme n’eut pareil vœu. Je reconnaissais,—sans craindre pour lui,—qu’il pouvait être un sérieux danger dans la société.—Il a peut-être des secrets pour changer la vie? Non, il ne fait qu’en chercher, me répliquais-je. Enfin sa charité est ensorcelée, et j’en suis la prisonnière. Aucune autre âme n’aurait assez de force,—force de désespoir!—pour la supporter,—pour être protégée et aimée par lui. D’ailleurs, je ne me le figurais pas avec une autre âme: on voit son Ange, jamais l’Ange d’un autre,—je crois. J’étais dans son âme comme dans un palais qu’on a vidé pour ne pas voir une personne si peu noble que vous: voilà tout. Hélas! je dépendais bien de lui. Mais que voulait-il avec mon existence terne et lâche? Il ne me rendait pas meilleure, s’il ne me faisait pas mourir! Tristement dépitée, je lui dis quelquefois: “Je te comprends.” Il haussait les épaules.