mières!” Et je lui disais comme tu étais rossarde quand tu voulais, et que personne n’avait le dernier avec toi, pas plus moi que les autres. . . . Je lui disais: “Cette femme-là, mon vieux, quand elle a le chapeau qu’il lui faut”—ton bleu marine avec des ailes, Nounoune, de l’autre été—“et la manière de s’habiller qu’elle a, tu peux mettre n’importe quelle femme à côté, tout fout le camp!” Et puis tes manières épatantes de parler, de marcher, ton sourire, ta démarche qui fait chic, je lui disais, à Desmond: “Ah! ce n’est pas rien, qu’une femme comme Léa! . . .”
Il claqua des doigts, avec une fierté de propriétaire, et s’arrêta, essoufflé, de parler et de marcher.
“Je n’ai jamais dit tout ça à Desmond, songea-t-il. Et pourtant ce n’est pas un mensonge que je fais là. Desmond a compris tout de même.” Il voulut reprendre et regarda Léa. Elle l’écoutait encore. Assise très droite à présent, elle lui montrait en pleine lumière son visage noble et défait, ciré par de cuisantes larmes séchées. Un poids invisible tirait en bas le menton et les joues, attristait les coins tremblants de la bouche. Dans ce naufrage de la beauté, Chéri retrouvait, intacts, le joli nez dominateur, les prunelles d’un bleu de fleur bleue. . . .
“Alors, n’est-ce pas, Nounoune, après des mois de cette vie-là, j’arrive ici, et. . . .”
Il s’arrêta, effrayé de ce qu’il avait failli dire.
“Tu arrives ici, et tu trouves une vieille femme, dit Léa d’une voix faible et tranquille.
— Nounoune! Écoute, Nounoune! . . .”
Ilse jeta à genoux contre elle, laissant voir sur son visage la lâcheté d’un enfant qui ne trouve plus de mots pour cacher une faute.
“Et tu trouves une vieille femme, répéta Léa. De quoi donc as-tu peur, petit?”
Elle entoura de son bras les épaules de Chéri, sentit le raidissement, la défense de ce corps qui souffrait parce qu’elle était blessée.
“Viens donc, mon Chéri. . . . De quoi as-tu peur? De m’avoir fait de la peine? Ne pleure pas, ma beauté. . . . Comme je te remercie, au contraire. . . .”
Il fit un gémissement de protestation et se débattit sans force. Elle inclina sa joue sur les cheveux noirs emmêlés.
“Tu as dit tout cela, tu as pensé tout cela de moi? J’étais donc si belle à tes yeux, dis? Si bonne? A l’âge où tant de femmes ont fini de vivre, j’étais pour toi la plus belle, la meilleure des femmes, et tu
gray cast in strong light!’ And I used to tell him how bitchy you could be when you wanted to, and how no one could get the last word with you, not me or anyone else . . . I’d tell him: ‘My friend, when that woman is wearing the hat that’s just right for her’—your navy blue with a brim, Nursie, from last summer—‘with her way of carrying clothes, you can put any other woman next to her, and she’ll make them all disappear!’ And then your terrific way of talking and walking, your smile, your stylish way of holding yourself . . . I’d say to Desmond: ‘Oh, a woman like Léa is really something! . . .’”
He snapped his fingers with proprietary pride, and, out of breath, he stopped both walking and talking.
“I never said all that to Desmond,” he thought to himself. “But I’m not lying right now. Desmond understood, anyway.” He intended to continue, and he looked at Léa. She was still paying attention. Seated very erectly now, she was showing him in direct light her noble but ravaged face, on which the dry trace of hot tears shone. An unseen weight was pulling down her chin and her cheeks, and was making the trembling corners of her mouth look sad. In that wreckage of beauty Chéri rediscovered intact her pretty, domineering nose and her irises, as blue as a blue flower . . .
“Well, you see, Nursie, after months of a life like that, I get here, and . . .”
He stopped, frightened at what he had almost said.
“You get here, and you find an old woman,” Léa said in a weak but calm voice.
“Nursie! Listen, Nursie! . . .”
He fell on his knees, leaning against her, revealing on his face the cowardice of a child that can no longer find the words to cover up a wrongdoing.
“And you find an old woman,” Léa repeated. “So what are you afraid of, child?”
She put an arm around Chéri’s shoulders, feeling the defensive stiffening of his body, which was suffering because she was hurt.
“Come now, my Chéri . . . what are you afraid of? Of having wounded me? Don’t cry, beauty . . . On the contrary, I’m so grateful to you . . .”
He uttered a moan in protest, and struggled weakly. She rested her cheek on his tangled black hair.
“You said all that, and thought all that, about me? And I was so beautiful in your eyes, yes? So kind? At the age when so many women’s lives are over, I was for you the most beautiful and the best
m’aimais? Comme je te remercie, mon chéri. . . . La plus chic, tu as dit? . . . Pauvre petit. . . .”
Il s’abandonnait et elle le soutenait entre ses bras.
“Si j’avais été la plus chic, j’aurais fait de toi un homme, au lieu de ne penser qu’au plaisir de ton corps, et au mien. La plus chic, non, non, je ne l’étais pas, mon chéri, puisque je te gardais. Et c’est bien tard. . . .”
Il semblait dormir dans les bras de Léa, mais ses paupières obstinément jointes tressaillaient sans cesse et il s’accrochait, d’une main immobile et fermée, au peignoir qui se déchirait lentement.
“C’est bien tard, c’est bien tard. . . . Tout de même. . . .”
Elle se pencha sur lui.
“Mon chéri, écoute-moi. Éveille-toi, ma beauté. Écoute-moi les yeux ouverts. N’aie pas peur de me voir. Je suis tout de même cette femme que tu as aimée, tu sais, la plus chic des femmes. . . .”
Il ouvrit les yeux, et son premier regard mouillé était déjà plein d’un espoir égoïste et suppliant. Léa détourna la tête: “Ses yeux. . . . Ah! faisons vite. . . .” Elle reposa sa joue sur le front de Chéri.
“C’était moi, petit, c’était bien moi cette femme qui t’a dit: “Ne fais pas de mal inutilement, épargne la biche. . . .” Je ne m’en souvenais plus. Heureusement tu y as pensé. Tu te détaches bien tard de moi, mon nourrisson méchant, je t’ai porté trop longtemps contre moi, et voilà que tu en as lourd à porter à ton tour: une jeune femme, peut-être un enfant. . . . Je suis responsable de tout ce qui te manque. . . . Oui, oui, ma beauté, te voilà, grâce à moi, à vingt-cinq ans, si léger, si gâté et si sombre à la fois. . . . J’en ai beaucoup de souci. Tu vas souffrir, — tu vas faire souffrir. Toi qui m’as aimée. . . .”
La main qui déchirait lentement son peignoir se crispa et Léa sentit sur son sein les griffes du nourrisson méchant.
“. . . Toi qui m’as aimée, reprit-elle après une pause, pourras-tu. . . . Je ne sais comment me faire comprendre. . . .”
Il s’écarta d’elle pour l’écouter; et elle faillit lui crier: “Remets cette main sur ma poitrine et tes ongles dans leur marque, ma force me quitte dès que ta chair s’éloigne de moi!” Elle s’appuya à son tour sur lui qui s’était agenouillé devant elle, et continua.
“Toi qui m’as aimée, toi qui me regretteras. . . .”
Elle lui sourit et le regarda dans les yeux.
“Hein, quelle vanité! . . . Toi qui me regretteras, je voudrais que, quand tu te sentiras près d’épouvanter la biche qui est ton bien, qui est ta charge, tu te retiennes, et que tu inventes à ces
of women, and you loved me? How grateful I am to you, darling . . . The most wonderful person, you said? . . . Poor boy . . .”
He grew limp and she supported him in her arms.
“If I had been such a wonderful person, I would have made a man of you, instead of merely thinking about the pleasure of your body and mine. The most wonderful woman, no, no, I wasn’t, darling, because I held onto you. And now it’s too late . . .”
He seemed to be asleep in Léa’s arms, but his stubbornly shut eyelids were constantly quivering, and with one motionless closed hand he was gripping her peignoir, w
hich was slowly tearing.
“It’s too late, it’s too late . . . Even so . . .”
She bent over him.
“Darling, listen. Wake up, beauty. Listen to me with your eyes open. Don’t be afraid to look at me. I’m still the woman you loved, you know, the most wonderful person . . .”
He opened his eyes, and his first tearful glance was already filled with a selfish, beseeching hope. Léa turned away her head: “His eyes . . . Oh, let’s get this over with fast . . .” She rested her cheek on Chéri’s forehead.
“It was I, child, really I, that woman who told you: ‘Don’t be needlessly cruel, show mercy to the doe . . .’ I had forgotten my own advice. Fortunately you remembered. You’re being weaned from me very belatedly, my nasty infant, I’ve carried you on my breast far too long, and now in your turn you’ve got a lot to carry: a young wife, perhaps a child . . . I’m to blame for all that you lack . . . Yes, yes, beauty: because of me, here you are at twenty-five, so lightweight, so spoiled, and so somber all at the same time . . . I feel very sorry about it. You’re going to suffer—you’re going to make others suffer. You who loved me . . .”
The hand that was slowly tearing her peignoir clenched tightly, and Léa felt on her breast the claws of the nasty infant.
“You who loved me,” she went on after a pause, “will you be able . . . I don’t know how to make you understand me . . .”
He moved away from her to listen, and she came close to shouting to him: “Put your hand back on my breast and your nails back in their traces! My strength deserts me the moment your flesh pulls away from me!” Now it was she who was leaning on him, as he knelt down in front of her; she went on:
“You who loved me, you who will miss me . . .”
She smiled at him and looked into his eyes.
“Ah, what vanity! . . . You who will miss me, whenever you feel that you’re coming close to frightening that doe who is yours to own, yours to protect, I want you to restrain yourself. At moments like that I want
instants-là tout ce que je ne t’ai pas appris. . . . Je ne t’ai jamais parlé de l’avenir. Pardonne-moi, Chéri: je t’ai aimé comme si nous devions, l’un et l’autre, mourir l’heure d’après. Parce que je suis née vingt-quatre ans avant toi, j’étais condamnée, et je t’entraînais avec moi. . . .”
Il l’écoutait avec une attention qui lui donnait l’air dur. Elle passa sa main sur le front inquiet, pour en effacer le pli.
“Tu nous vois, Chéri, allant déjeuner ensemble, à Armenonville? . . . Tu nous vois invitant Madame et Monsieur Lili? . . .”
Elle rit tristement et frissonna.
“Ah! Je suis aussi finie que cette vieille. . . . Vite, vite, petit, va chercher ta jeunesse, elle n’est qu’écornée par les dames mûres, il t’en reste, il lui en reste à cette enfant qui t’attend. Tu y as goûté, à la jeunesse! Tu sais qu’elle ne contente pas, mais qu’on y retourne. . . . Eh! ce n’est pas de cette nuit que tu as commencé à comparer. . . . Et qu’est-ce que je fais là, moi, à donner des conseils et à montrer ma grandeur d’âme? Qu’est-ce que je sais de vous deux? Elle t’aime: c’est son tour de trembler, elle souffrira comme une amoureuse et non pas comme une maman dévoyée. Tu lui parleras en maître, mais pas en gigolo capricieux. . . . Va, va vite. . . .”
Elle parlait sur un ton de supplication précipitée. Il l’écoutait debout, campé devant elle, la poitrine nue, les cheveux en tempête, si tentant qu’elle noua l’une à l’autre ses mains qui allaient le saisir. Il la devina peut-être et ne se déroba pas. Un espoir, imbécile comme celui qui peut atteindre, pendant leur chute, les gens qui tombent d’une tour, brilla entre eux et s’évanouit.
“Va, dit-elle à voix basse. Je t’aime. C’est trop tard. Va-t’en. Mais vat’en tout de suite. Habille-toi.”
Elle se leva et lui apporta ses chaussures, disposa la chemise froissée, les chaussettes. Il tournait sur place et remuait gauchement les doigts comme s’il avait l’onglée, et elle dut trouver elle-même les bretelles, la cravate; mais elle évita de s’approcher de lui et ne l’aida pas. Pendant qu’il s’habillait, elle regarda fréquemment dans la cour comme si elle attendait une voiture.
Vêtu, il parut plus pâle, avec des yeux qu’élargissait un halo de fatigue.
“Tu ne te sens pas malade?” lui demanda-t-elle. Et elle ajouta timidement, les yeux bas: “Tu pourrais . . . te reposer. . . .” Mais tout de suite elle se reprit et revint à lui comme s’il était dans un grand péril: “Non, non, tu seras mieux chez toi. . . . Rentre vite, il n’est pas midi, un bon bain chaud te remettra, et puis le grand air. . . . Tiens tes
you to discover for yourself all that I failed to teach you . . . I’ve never spoken to you about the future. Forgive me, Chéri: I loved you as if we were both going to die immediately afterward. Because I was born twenty-four years before you, I was a condemned woman, and I was dragging you down with me . . .”
He was listening so attentively that he looked cruel. She passed her hand over his worried forehead to rub away the crease in it.
“Can you picture us, Chéri, going for lunch together to Armenonville? . . . Can you picture us inviting over Madame and Monsieur Lili? . . .”
He laughed sadly and shivered.
“Oh, I’m as done for as that old woman is . . . Quickly, boy, quickly, go and look for your youth, which has only been slightly damaged by older women. There’s much more of it left for you and for that girl who’s waiting for you. You’ve had a taste of her youth! You know that it isn’t completely satisfying, but that one keeps coming back to it . . . Well, it wasn’t just last night that you began to make the comparison . . . And what am I doing here, giving advice and showing how noble I am? What do I know about you two? She loves you: it’s her turn to tremble; she’ll suffer like a woman in love, not like a perverted mother. Speak to her as a master, but not as a capricious gigolo . . . Go, go quickly . . .”
She was speaking in a tone of hasty supplication. He was listening on his feet, planted in front of her, his chest bare, his hair tousled, looking so tempting that she clasped her hands, which were about to take hold of him. He may have guessed her feelings, and he didn’t flinch. A ray of hope, as mindless as the hope that may be felt by people in mid-air as they fall from a tower, flashed between them and vanished.
“Go,” she said quietly. “I love you. It’s too late. Leave. But leave right away. Get dressed.”
She got up, brought him his shoes, and laid out his wrinkled shirt and his socks. He was turning around in circles, clumsily wiggling his fingers as if they were numb with cold, and she had to find his suspenders and tie herself; but she took care not to go near him, and she didn’t help him. While he was dressing, she frequently looked down at the courtyard, as if she were expecting a carriage to arrive.
Once dressed, he looked paler; his eyes were widened by an aura of fatigue.
“You don’t feel ill?” she asked. And she added timidly, her eyes downcast: “You could . . . rest . . .” But immediately she got hold of herself, and addressed him as if he were in great danger: “No, no, you’ll be better off at home . . . Go home quickly, it isn’t noon yet; a good bath will set you up, and then the fresh air . . . Take your gloves
gants. . . . Ah! oui, ton chapeau par terre. . . . Passe ton pardessus, l’air te surprendrait. Au revoir, mon Chéri, au revoir. . . . C’est ça. . . . Tu diras à Charlotte. . . .” Elle referma sur lui la porte et le silence mit fin à ses vaines paroles désespérées. Elle entendit que Chéri butait dans l’escalier, et elle courut à la fenêtre. Il descendait le perron et s’arrêta au milieu de la cour.
“Il remonte! il remonte!” cria-t-elle en levant les bras.
Une vieille femme haletante répéta, dans le miroir oblong, son geste, et Léa se demanda ce qu’elle pouvait avoir de commun avec cette folle.
Chéri reprit son chemin vers la rue, ouvrit la grille et sortit. Sur le trottoir il boutonna son pardessus pour cacher son linge de la veille. Léa laissa retomber le rideau. Mais elle
eut encore le temps de voir que Chéri levait la tête vers le ciel printanier et les marronniers chargés de fleurs, et qu’en marchant il gonflait d’air sa poitrine, comme un évadé.
. . . Oh, yes, your hat’s on the floor . . . Put on your overcoat, you might catch a sudden chill. So long, Chéri, so long . . . Right . . . Tell Charlotte . . .” She shut the door behind him, and the silence cut short her vain, despairing words. She heard Chéri stumble on the staircase, and she ran to the window. He was walking down the front steps, and he stopped in the middle of the courtyard.
“He’s coming back up! He’s coming back up!” she cried, raising her arms.
In the tall mirror a panting old woman made the same gesture, and Léa wondered what she could have in common with that wild creature.
Chéri resumed his walk to the street, opened the gate, and went out. On the sidewalk he buttoned his overcoat to conceal his day-old linens. Léa let the curtain fall again. But she still had enough time to see that Chéri was raising his head to the spring sky and the blossom-laden chestnut trees, and that, as he walked, he was filling his lungs with air, like an escaped prisoner.
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Colette, Cheri (Dual-Language)
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