Page 14 of Ex in the City


  — Bureau de Mike Middleford, j’écoute.

  — Tracey, c’est moi, Dianne.

  — Oh, bonjour, Dianne, comment allez-vous ?

  — Très bien, je vais faire les soldes chez Barneys. Vous devriez aller y faire un tour à midi, si vous n’avez pas fini vos courses de Noël.

  Mêle-toi de ce qui te regarde, j’irai faire mes courses chez Wallmart quand je serai à Brookside.

  Je réponds néanmoins poliment :

  — Merci du conseil, j’irai peut-être. Prévenez-moi si vous trouvez de bonnes affaires à faire.

  Ce n’est pas évident de papoter avec Dianne maintenant que je sais que c’est une garce.

  — Vous cherchez de bonnes affaires au rayon homme ? répond-elle du tac au tac.

  C'est du moins ce que je crois entendre car elle m’appelle de son portable et il y a de la friture sur la ligne. Qu’est-ce qu’elle veut dire par là ?

  — Je ne vous entends pas très bien, lui dis-je.

  — Je disais que je vous préviendrai si je trouve de bonnes affaires à faire au rayon homme.

  Zut, elle croit peut-être que je compte aller chez Barneys pour faire un cadeau à Mike pour Noël. Je comptais lui acheter un de ces gadgets qu’on pose sur le bureau, un mini-jeu de golf par exemple, un truc qui coûte vingt dollars à la boutique cadeaux de JCPenney. Pour autant qu’il y ait un JCPenney à Manhattan. Maintenant que j’y pense, je n’en ai jamais vu.

  — Je vous dis ça parce que Mike m’a dit que vous étiez en couple avec Jack, maintenant.

  Oups.

  — Ah, oui ? Il vous a dit cela ?

  Elle rit.

  — Oui, au début je n’ai pas voulu y croire parce que ça me semblait trop…

  Les craquements sur la ligne m’empêchent d’entendre la suite.

  — Trop quoi ?

  Craquements… Je déteste les portables.

  — Mais il a juré que ce n’était pas une blague. Dites-moi la vérité, vous sortez vraiment ensemble ?

  — Eh bien…, nous nous sommes vus plusieurs fois.

  Elle rit encore.

  — Je suis navrée de vous avoir dit que c’était un sale con.

  J’entends très bien maintenant et ce que je comprends, c’est que ses excuses ne sont pas franches du tout.

  — Il n’y a pas de problème, dis-je parce qu’il faut bien dire quelque chose.

  — Est-ce que Mike est là ?

  — Ne quittez pas.

  Je vérifie, il n’est pas là.

  — Je vois de la lumière dans son bureau mais il ne répond pas.

  — Pouvez-vous vérifier encore, j’ai vraiment besoin de lui parler.

  — Bien sûr, dis-je en grinçant des dents.

  Comme si je n’avais rien de mieux à faire que de courir derrière mon patron chaque fois qu’elle appelle.

  Prends-toi en mains, Tracey.

  Je la mets en attente et pendant ce temps, je me plonge dans la lecture du journal. Au bout d’un bon moment, je reprends la ligne.

  — Je l’ai cherché partout, Dianne, je pense qu’il est en réunion. Je lui dirai que vous avez appelé.

  — D’accord, merci, répond-elle d’une voix froide.

  Une fois qu’elle a raccroché, je me lève, je prends la pochette dans une main, les deux billets dans l’autre et je me dirige vers le bureau de Merry. C'est pour le spectacle de vendredi soir, le jour où j’ai prévu de me rendre à Brookside pour les fêtes de Noël. Je me dirige vers le bureau de Merry quand je décide de m’arrêter pour parler à Latisha. Elle est au téléphone mais me fait signe d’attendre.

  — D’accord, chéri, dit-elle, je le ferai. Je t’aime, moi aussi, chéri.

  Elle l’embrasse dans le vide et raccroche.

  — C'était Derek ?

  — Oui.

  — Tu l’as bien rencontré alors que tu venais à peine de sortir d’une rupture, non ?

  — Euh…

  — Tu venais de rompre avec Anton avec qui tu étais depuis plusieurs années… Vous êtes tombés fous amoureux l’un de l’autre et si mes souvenirs sont bons, personne ne t’a dit à l’époque qu’il était beaucoup trop tôt pour t’engager avec lui, non ?

  — Chérie, tout le monde a essayé de nous décourager.

  — Pas moi.

  — Tu passais tout ton temps à pleurer après Will. Tu ne voyais rien ni personne autour de toi.

  — Désolée, dis-je en ayant tout à coup l’impression d’avoir été une horrible amie, sans parler de la honte d’avoir été vue dans un si pitoyable état.

  — Ne t’en fais pas, je comprends.

  — Tu disais que personne n’aurait parié sur votre histoire au début ?

  — C'est vrai.

  — Mais tu y as cru ?

  — Tu sais, ça ne fait pas très longtemps que nous sommes ensemble… Je ne sais pas si on peut déjà en tirer des conclusions.

  — Tu crois que c’est un petit ami de transition ?

  — Je n’en sais rien. Pour l’instant, nous nous consacrons l’un à l’autre, et c’est parfait comme ça.

  Mon aventure avec Jack me semble soudain beaucoup plus simple vue sous cet angle.

  — Tu voulais me voir ? demande-t-elle.

  Je lui tends les billets en lui disant :

  — Regarde.

  Elle ouvre des yeux ronds.

  — C'est Jack ?

  — Non, c’est mon « mystérieux flocon ».

  — Tu te fiches de moi.

  — Pas du tout.

  — J’aurais peut-être dû accepter de jouer le jeu, j’aurais eu des supercadeaux, moi aussi, dit-elle, pensive. Je croyais que c’était une histoire de bonbons et de guirlandes pour le sapin.

  — Normalement, c’est le cas, mais je suis tombée sur un dingue et je ne sais pas quoi faire !

  — Si tu ne sais pas quoi faire des billets, tu peux les offrir à Yvonne à l’occasion de l’enterrement de sa vie de jeune fille. Tu te souviens qu’elle a été dans la troupe des Rockettes quand elle était jeune ? Ça lui rappellera de bons souvenirs. Elle ira avec Thor et lui racontera son passé sulfureux.

  Oh, mon Dieu, la soirée d’Yvonne ! Je l’avais complètement oubliée ! Je n’ai toujours pas trouvé le strip-teaseur. Il faut dire que de nos jours, ce genre de prestation est hors de prix ! J'explique à Latisha que Raphaël s’en occupe. Nous décidons de nous retrouver pour le déjeuner avec Brenda et Yvonne, puis je file chez Merry. Son bureau ressemble à la maison du Père Noël. Il y a des guirlandes partout, même le fond de l’écran de son ordinateur représente un sapin tout décoré qui scintille de lumières vertes et rouges. Comme elle n’est pas là, je lui laisse un petit mot succinct sur un Post-it jaune.

  « Merry, peux-tu m’appeler au poste 2409 ? Merci, Tracey Spadolini. »

  Je colle le Post-it sur le nez du Père Noël grandeur nature affiché sur le mur de son bureau. Ses yeux brillent, ses fossettes… euh… me font penser à Jack. Mon cœur bat un peu plus vite en pensant à la soirée de samedi et à la surprise qu’il m’a annoncée.

  Jeudi soir.

  Will me téléphone. Le téléphone sans fil est posé sur la table devant moi, mais je ne décroche pas tout de suite car je suis en train de regarder Must-See-TV, et je ne veux pas être dérangée. J’entends sa voix sur le répondeur… Il parle un bon bout de temps. Il ne cherche pas à savoir si je suis là, non, il s’écoute car il aime le son de sa voix. Et je n’ai aucune intention de décrocher.

  Je décroche.

  Pourquoi ? Je n’en sais rien, mais je décroche.

  — Tracey ? Tu es là ?

  — Oui, je suis là, dis-je de la voix la plus calme et la plus détachée possible, comme si le fait d’entendre sa voix n’avait pas complètement retourné mon estomac vide.

  J’éteins le son de la télé et je me lève, le téléphone coincé contre mon oreille.

  — Ça fait plusieurs fois que j’essaie de te joindre.

  — Ah bon ?

  — Oui, je t’ai laissé des messages.

 
Menteur, tu n’as laissé qu’un seul message.

  — Ah, oui ? Je ne les ai pas eus. Mon répondeur est peut-être cassé.

  Cassé comme mon cœur l’a été après que tu m’as plaquée, espèce de salaud de menteur !

  — Comment vas-tu, Trace ?

  Il me parle comme à une grande malade, il m’exaspère !

  — Super, dis-je avec enthousiasme, en espérant qu’il va me poser des questions pour que je puisse lui parler de Jack.

  Mais comme d’habitude, Will ne s’intéresse qu’à lui, il enchaîne donc :

  — Je suis content de savoir que tu vas bien. Ecoute, je t’appelais parce que j’ai fait du rangement et j’ai retrouvé des trucs qui t’appartiennent.

  — C'est quoi ?

  — Des fringues.

  — Tu sais, elles ne me vont certainement plus du tout, aujourd’hui.

  J’entends une voix de femme en bruit de fond. Il me demande de ne pas quitter un instant. Il parle mais je ne comprends pas un mot car il a couvert le combiné de sa main. Sympathique ! J’allume une cigarette en faisant les cent pas. Je m’approche du bureau que Buckley et moi avons trouvé en faisant les monstres dans la rue le mois dernier. J’ouvre un tiroir et j’en sors une liasse de factures que j’aurais dû payer la semaine dernière. Je fouille encore le tiroir, à la recherche de la photo de Jack et de moi à la soirée de la boîte. Je la regarde intensément, on dirait un vrai couple. Je fume en comparant Jack à Will. Une autre bouffée. Puis Will revient.

  — Désolé, Trace.

  — C'était Nerissa ?

  Nerissa est sa colocataire.

  — Non, c’était, euh…

  — Esme, dis-je, avec une pointe de jalousie.

  Je me demande si elle l’a aidé dans son rangement.

  — Non, en fait, Esme et moi avons rompu.

  Je suis si concentrée sur l’image d’Esme en train d’essayer en rigolant un de mes immenses pantalons datant de l’époque où j’étais grosse que je ne comprends pas immédiatement le sens de ses paroles. Quand je réalise enfin, mon cœur fait un raté.

  — Vous avez rompu, Esme et toi ?

  — Oui. Ça n’a malheureusement pas marché entre nous.

  — Quel dommage, lui dis-je sur le ton le plus sincère.

  — Nous avons tous deux de très fortes personnalités, ça n’aurait pas été bien loin de toute façon.

  Je suis parano ou il est en train d’insinuer que je n’ai aucune personnalité puisque nous sommes restés ensemble trois ans, sans heurts ni disputes ? Mais alors, si c’est fini avec Esme, qui est la fille avec laquelle il parlait à l’instant ? Est-ce qu’il m’appelle pour faire le point sur sa nouvelle conquête ?

  — Bon, alors, à propos de tes fringues…

  — Tu peux les jeter. Elles ne me vont plus car j’ai pas mal minci, dis-je, bien décidée à marquer ce point.

  — Ecoute, ça me gêne de faire ça sans que tu les aies vues, Tracey.

  Je n’ai pas besoin de les voir, je les connais par cœur. Des pantalons, des T-shirts de la très grosse et très complexée petite amie de Will le menteur. En serrant les dents, je fixe la photo de Jack et de moi. On dirait vraiment un gentil petit couple nageant en plein bonheur. Je devrais la mettre dans un cadre. Will poursuit :

  — J’ai une idée.

  Immédiatement, j’oublie toute velléité d’encadrement. On n’encadre pas un petit ami de transition. Les cadres sont pour les vrais petits amis, ou pour les copains homos. Les petits amis de transition passent leur vie dans une enveloppe au fond d’un tiroir.

  — Pourquoi ne viendrais-tu pas ce week-end pour jeter un coup d’œil à tous ces vêtements ?

  — Impossible, je suis prise, je sors avec quelqu’un.

  — Et tu sors avec quelqu’un tout le week-end ?demande Will sur un ton amusé.

  — En fait, je sors même avec deux personnes différentes, si tu veux tout savoir, je suis donc très prise tout le week-end.

  — Ah.

  C'est désagréable à entendre, hein, mon cher Will ? On s’amuse beaucoup moins maintenant, non ?

  — Je te dis que tu peux les jeter, surtout ne te gêne pas !

  — Non, j’attendrai que tu viennes les chercher.

  — O.K., dis-je sur le ton neutre qu’il emploie lui-même très souvent.

  Nous parlons de tout et de rien pendant quelques instants sans être interrompus par son mystérieux visiteur. Il ou elle doit être dans la salle de bains. J’imagine cette fille — c’est sûrement une fille — assise sur les toilettes de Will et je meurs de jalousie. J’ai envie de crier que cette place m’est réservée à moi, Tracey ! Attention, je ne suis pas en train de dire que j’y passais ma vie. Juste un petit pipi de temps en temps. Le reste, si je puis dire, je le faisais chez moi, jamais chez lui ! Will ne supporte aucune mauvaise odeur, il est tellement délicat ! Nous n’en avons jamais parlé mais j’ai toujours su instinctivement que pour préserver notre relation, il ne devait pas y avoir ce genre d’intimité entre nous. Au point qu’à force de me contrôler, j’ai souvent frôlé l’occlusion intestinale. Ça peut vous paraître dingue mais c’est la vérité !

  Les yeux rivés sur la photo de Jack et de moi, comme si c’était un talisman, j’essaie de glisser un certain nombre de messages dans la conversation. D’abord que je suis mince, puis que je n’ai plus une minute à moi tellement je suis courtisée. Mais ça ne marche pas. Soit Will est bouché, soit il s’en fout, mais il ne parle que de lui : il est débordé, court d’une audition à l’autre, retravaille pour Milos, le patron de Cocktails et petits fours, et n’ira pas dans sa famille à DesMoines pour Noël. Il reste à New York.

  Qu’il puisse passer les fêtes loin des siens est aussi incompréhensible pour moi, que ça l’a été pour mes amis de Brookside de me voir partir vivre à New York. La différence, c’est que je n’ai jamais envisagé de passer les fêtes importantes loin de ma famille. Ça aurait été comme un sacrilège.

  — Tes parents doivent être déçus, lui dis-je.

  Ses parents, originaires du Midwest, sont adorables. On se demande toujours comment des gens aussi simples ont pu donner le jour à un aspirant comédien aussi égocentrique et imbu de lui-même.

  — Oui, mais ils s’en remettront, répond-il froidement.

  Je lève les yeux au ciel, je vois le tableau. Il reprend.

  — Je n’avais aucune envie de me taper tout ce cirque autour de Noël, ajoute-t-il sur un ton las.

  — Et quel est ton programme ?

  — Tu veux parler du jour de Noël ?

  — Oui.

  — Je n’en sais rien, avec un peu de chance, dormir.

  Avec qui ? C'est la question qui me vient aussitôt à l’esprit. Mais je me garde bien de la lui poser. Au contraire, j’écourte la conversation, je lui dis que je dois raccrocher car je suis occupée.

  — Tu viendras chercher tes vêtements après les vacances, alors ? demande-t-il.

  — On verra. Joyeux Noël, Will.

  — Euh, oui, toi aussi.

  Je raccroche et me rassieds enfin.

  L'appartement me paraît plus petit et plus vide que jamais.

  Mais aussi plus calme. Au lieu de monter le son de la télé, je fixe l’écran en repensant à Will. Je ne veux pas que ça recommence entre nous. J’ai compris combien notre relation était toxique pour moi, et que je suis bien mieux sans lui. Mais je n’ai pas encore franchi l’étape suivante dont le principe est qu’il vaut mieux être seule que mal accompagnée. Je sais que ce n’est pas une preuve de maturité de passer d’un homme à un autre, mais je ne supporte pas la solitude. Il y a des gens qui aiment leur indépendance, mais moi…

  Toi, quoi, Tracey ?

  Aimer son indépendance ?

  Je pense à ma sœur Mary Beth qui a demandé à son mari de revenir à la maison alors qu’il l’a effrontément trompée pendant qu’elle était en train d’accoucher de son deuxième enfant. Je pense à ma mère qui a son permis de conduire depuis les années 50 mais qui ne s’en est jamais servi, sauf le jour où
elle a amené mon père à l’hôpital car il pensait faire une crise cardiaque alors qu’il avait une crise d’aérophagie. Je pense à ma grand-mère qui toute sa vie a préparé trois repas avec entrée, plat et dessert à mon grand-père. Se levant pour lui chercher le sel ou pour le resservir. Cette soumission aux hommes est peut-être génétique. Je ne ressemblerai jamais aux héroïnes de Sex and the City, même si, comme elles, je vis à New York et qu’il m’arrive de faire l’amour avec des inconnus…

  A propos de faire l’amour, je me rends compte que je tiens toujours la photo de Jack. Sans réfléchir, je prends un des cadres qui me représente en compagnie de Raphaël. Je remplace la photo par celle de Jack et de moi.

  Je sais… Je sais ce que vous pensez ! Mais c’est juste pour voir ce que ça donne ! Je pose le cadre sur le rebord de la fenêtre, je me recule pour en constater l’effet. On est vachement beaux tous les deux encadrés ! Tellement beaux que je décide de le laisser comme ça. Juste pour ce soir. Juste parce que j’ai envie de croire que je vis une histoire sérieuse. Demain, promis, je remettrai Raphaël à sa place, et Jack retournera dans son enveloppe, au fond du tiroir de mon bureau.

  12

  Vendredi matin, je découvre le cinquième et dernier cadeau de mon mystérieux flocon.

  Sur mon bureau, il y a une petite boîte entourée de papier cadeau. Quand c’est petit, c’est bon signe, me dis-je en ôtant le ruban de velours bleu et le papier argent. Ce que j’ai offert à Myron tient également dans une petite boîte. C'est une décoration de Noël. Une figurine à accrocher au sapin qui représente un membre des New York Jets. Ça m’a coûté neuf dollars quatre-vingt-quinze plus les taxes, chez Hallmark. J’ai tout de même dépensé près de vingt dollars en tout pour cette imbécillité de mystérieux flocon ! Impossible de rester dans la limite des quinze dollars. Attention, je ne cherche aucune excuse à celui qui m’inonde de cadeaux coûteux depuis une semaine. J’ouvre le couvercle.